La Cour d’appel du Kenya rend vendredi une décision très attendue sur un projet de réforme constitutionnelle lancé par le président Uhuru Kenyatta, source de controverse et d’incertitude grandissantes à moins d’un an de l’élection présidentielle.
Le 13 mai, un tribunal de Nairobi a jugé illégal ce projet baptisé « Building Bridge Initiative » (BBI) visant à modifier la constitution de 2010 – qui avait instauré un régime présidentiel – en créant notamment un poste de Premier ministre, deux de vice-Premier ministre et un de chef de l’opposition.
Alors que le parlement kényan avait approuvé deux jours plus tôt le texte qui devait ensuite être soumis à référendum, les juges ont estimé que le président ne pouvait prendre l’initiative de ce type de révision constitutionnelle.
Uhuru Kenyatta a dénoncé cette décision comme une « tentative de bloquer la volonté du peuple ».Le gouvernement a ensuite interjeté appel.
Selon le président, cette réforme permet d’atténuer le système actuel du « vainqueur rafle tout », à l’origine des conflits post-électoraux qui ont jalonné l’histoire du pays.
Mais ses détracteurs y voient un stratagème du chef de l’Etat, qui n’est pas autorisé à se présenter pour un troisième mandat lors de l’élection d’août 2022, pour se maintenir au pouvoir en tant que Premier ministre.
Certains soupçonnent une entente pour un partage du pouvoir avec celui qui a été son principal opposant, Raila Odinga.
Après les violences post-électorales de 2017 qui avaient fait des dizaines de morts, les deux adversaires ont entamé un rapprochement inattendu, incarné par une poignée de main restée célèbre sous le nom de « The handshake » en mars 2018.
Ces derniers mois, ils ont parcouru le pays pour faire la promotion du BBI, malgré l’épidémie de Covid-19.
– Calendrier incertain –
Le premier des opposants au texte est William Ruto, vice-président depuis 2013 de M. Kenyatta qui l’avait adoubé comme son successeur pour 2022.
Depuis le rapprochement avec Raila Odinga, William Ruto se voit de plus en plus marginalisé du pouvoir.
D’autres critiques du projet affirment que l’augmentation du nombre de parlementaires (de 290 à 360) prévue par le BBI grèverait un peu plus les finances du pays, qui croule déjà sous une dette de 70 milliards de dollars, et fournirait autant de nouvelles opportunités de favoritisme et de corruption.
Cette bataille politique et judiciaire plonge le pays dans l’incertitude à moins d’un an du premier tour de l’élection présidentielle, fixé au 9 août 2022.
Si le processus du BBI était confirmé comme illégal – et sous réserve d’un éventuel appel devant la Cour suprême – vendredi, alors le processus électoral suivrait son cours prévu.
« Ce serait la moindre des perturbations », affirme Nic Cheeseman, professeur à l’université de Birmingham (Royaume-Uni).
En revanche, une décision le jugeant légal « serait l’option la plus déstabilisante dans la perspective des prochaines élections », estime-t-il.Dans ce cas, explique-t-il, « se pose une grande question parce qu’il n’est pas possible (…) d’organiser efficacement un référendum national sur le BBI, avant la campagne pour l’élection (qui) doit commencer bientôt ».
Se poseraient aussi des questions sur le calendrier de mise en application de cette réforme et notamment l’instauration, avant ou après le scrutin, des nouveaux postes.
« Cela n’a pas vraiment été discuté », souligne Nic Cheeseman: « Il n’y a aucune entente claire sur la manière dont cela serait fait ».
Certains responsables politiques avaient appelé à un report des élections en raison de ce processus judiciaire.Mais la commission indépendante en charge d’organiser le scrutin a exclu cette possibilité début juillet et confirmé qu’elles auraient lieu à la date du 9 août 2022, comme le prévoit la constitution.
AFP