Quelques jours après la fin du blocage d’internet, les Soudanais revivent la terreur semée lors de l’évacuation meurtrière du sit-in de manifestants à Khartoum en regardant les images, devenues virales, de la répression.
« Les images de meurtres et de coups brutaux m’ont mis très en colère », déclare Hussein Hashim, 19 ans, étudiant à l’université du quartier d’El-Deen à Khartoum.
« Les auteurs de ces actes n’ont aucune pitié, religion ou humanité », assène-t-il.
Le 3 juin, 136 personnes ont été tuées lors du raid brutal mené sur le campement de manifestants installé depuis avril devant le siège de l’armée, selon un comité de médecins proche de la contestation. Les autorités parlent de 71 morts.
Immédiatement après le drame, les autorités avaient imposé le blocage total de l’internet mobile dans le pays, jetant un voile sur les violences perpétrées.
Mais avec la levée du blocage mardi, des dizaines de vidéos, que de nombreux Soudanais n’avaient encore jamais vues, sont devenues virales.
L’une d’entre elles montre un groupe d’hommes armés, en tenue militaire, cernant une adolescente en train de crier alors qu’un d’entre eux la tient par le cou.
Sur une page Facebook créée pour rassembler les images du « massacre » du 3 juin, Hassan Mora, une internaute, écrit: « Les responsables de ce crime doivent rendre des comptes ».
« Sans responsabilité, punition et vengeance, cette révolution spectaculaire ne réussira pas », a renchéri Alaa Khairawi.
De nombreuses images montrent des hommes armés frappant des manifestants avec des bâtons. L’AFP n’a toutefois pas pu vérifier leur authenticité, la plupart d’entre elles ayant été diffusées sur les réseaux sociaux par des comptes affichant des pseudonymes.
« Justice »
« Ces vidéos ont pour but de nous effrayer », dit pour sa part son ami Samuol, accusant les autorités de les diffuser. « Mais ces scènes horribles nous donneront encore plus de raisons de nous battre pour que justice soit rendue pour les martyrs ».
Une photo en particulier a suscité la fureur de la population. Elle montre des hommes en tenue militaire et bottes, posant leurs pieds sur le visage d’un manifestant étendu sur le sol.
L’internet mobile a été rétabli après des poursuites engagées contre les fournisseurs de réseau par un avocat basé à Khartoum, Abdelaziz Hassan. « L’objectif du blocage était de dissimuler des informations et des preuves sur ce qui s’est passé lors du massacre », a-t-il déclaré à l’AFP.
Des dizaines de personnes avaient déjà été tuées dans la répression des manifestations lancées le 19 décembre, après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain.
Le mouvement avait pris une tournure politique en réclamant la chute du président Omar el-Béchir, destitué et arrêté le 11 avril par l’armée après trois décennies au pouvoir.
« Montages »
Les manifestants et des ONG accusent les redoutées Forces de soutien rapide (RSF) d’avoir mené le raid. Mais le chef de ces groupes paramilitaires, Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemeidti », également numéro deux du Conseil militaire de transition, au pouvoir, a rejeté ces allégations.
« Ces photos sont des montages », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement la semaine dernière, accusant des services de renseignement étrangers de filmer et diffuser les images. « Il y a des gens qui ont filmé 59 vidéos en une journée, comment est-ce possible ? Ils ont des idées derrière la tête, c’est sûr ».
Le Conseil militaire de transition a ordonné l’ouverture d’une enquête sur les violences du 3 juin, mais les conclusions n’ont pas encore été rendues publiques.
Montrant une vidéo dans laquelle un groupe d’hommes en treillis frappent des manifestants, un chauffeur interrogé par l’AFP assure que « ces vidéos ne sont pas des montages, certaines ont même été tournées par les hommes armés », dit-il.
« Après avoir vu ces images, j’ai envie de venger les victimes », ajoute-t-il sans donner son nom.
« J’étais heureuse du retour d’internet. Mais maintenant, je me sens en colère et humiliée », dit une jeune femme qui souhaite elle aussi rester anonyme. « Ils veulent intimider les femmes mais nous n’aurons pas peur et nous continuerons à manifester », lance-t-elle.
AFP