Les chefs de la contestation au Soudan ont annoncé vendredi la formation prochaine d’une autorité civile en charge des affaires du pays, pour accroître la pression sur les militaires qui ont refusé jusque-là de transférer le pouvoir.
Sur le terrain, des milliers de Soudanais sont rassemblés vendredi devant le QG de l’armée dans le centre de la capitale Khartoum, et leurs rangs devraient grossir à l’heure de la prière hebdomadaire musulmane du vendredi, selon des témoins.
Il y a quatre mois jour pour jour, un mouvement populaire a commencé au Soudan pour protester au départ contre le triplement du prix du pain dans un pays à l’économie exsangue. Il s’est rapidement transformé en contestation contre le général Omar el-Béchir qui a été destitué le 11 avril par l’armée après près de trois décennies au pouvoir.
Depuis son renversement, un Conseil militaire de transition dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhane a pris le pouvoir et a résisté jusque-là aux appels des manifestants à le transférer à une administration civile.
Déterminée à maintenir la pression, l’Association des professionnels soudanais (SPA), groupe en première ligne de la contestation, a annoncé dans un communiqué que « les noms des membres d’un Conseil civil en charge des affaires du pays seront annoncés lors d’une conférence de presse dimanche à 19H00 locales (17H00 GMT) » devant le QG de l’armée.
« Nous réclamons que ce Conseil civil, qui comprendra des représentants de l’armée, remplace le Conseil militaire », a déclaré à l’AFP Ahmed al-Rabia, un des leaders de la SPA.
Les chefs de la contestation n’ont pas donné davantage de précisions sur leurs intentions. Aucune réaction de l’armée n’était disponible dans l’immédiat.
– « Long chemin » –
Au 14e jour de leur sit-in devant le QG de l’armée, les manifestants disent leur intention de rester là jusqu’au départ des militaires du pouvoir. Ils se préparent à faire la prière hebdomadaire sur le site, selon l’un d’eux.
« Pouvoir aux civils, pouvoir aux civils », ont scandé les manifestants jusqu’à l’aube vendredi, selon des témoins.
« Je ne quitterai pas le site tant que Burhane n’aura pas transféré le pouvoir à un gouvernement de civils », affirme Wali Aldine, un manifestant.
Galvanisés par les concessions obtenues avec le départ de M. Béchir et d’autres responsables militaires, les manifestants apparaissent plus déterminés que jamais.
« Le régime de Béchir était un régime terroriste, une dictature. Nous sommes contents de l’avoir renversé », s’est réjoui Mohamed Ali, un manifestant venu avec son épouse et sa soeur. « Nous avons encore un long chemin à parcourir, mais nous sommes sûrs que le Conseil militaire nous écoutera ».
Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat soutenu par les islamistes le 30 juin 1989, M. Béchir a dirigé d’une main de fer un pays en proie à des rébellions dans plusieurs régions dont celle du Darfour (ouest) et où les arrestations de chefs de l’opposition, de militants et de journalistes étaient régulières.
Il est par ailleurs sous le coup de mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), notamment pour « génocide » au Darfour, mais les autorités actuelles refusent son extradition.
Arrêté, M. Béchir, 75 ans, a été transféré mercredi dans une prison de Khartoum, selon un proche. Deux de ses frères ont été aussi arrêtés.
– Emissaire américain au Soudan –
« Il est de plus en plus clair que la révolution reste inachevée », a affirmé à l’AFP Alan Boswell, du centre de réflexion International Crisis Group (ICG). « La clique sécuritaire toujours au pouvoir résiste clairement aux exigences » de la rue.
Depuis le 19 décembre, la répression contre les manifestants a fait plus de 60 morts et des centaines de blessés. Des milliers de personnes ont été emprisonnées.
Les Etats-Unis, qui maintiennent le Soudan sur la liste noire américaine des « Etats soutenant le terrorisme », ont salué les premières mesures prises par les militaires qui ont destitué M. Béchir, mais ont appelé à une transition répondant davantage aux voeux des Soudanais.
La responsable du département d’Etat chargée de l’Afrique de l’Est, Makila James, « se rendra au Soudan ce week-end », a annoncé un haut responsable américain, sans autres précisions.