Le chef d’Etat ivoirien Alassane Ouattara, qui brigue un troisième mandat controversé lors de la présidentielle de samedi, a appelé les opposants à cesser la « désobéissance civile » alors que les incidents de multiplient, surtout dans des fiefs de l’opposition, dans une ambiance tendue.
Dans ce contexte de boycott, le taux de participation sera un des enjeux du scrutin, qui doit se clore à 18H00 (locales et GMT).
Les quelque 7,5 millions d’électeurs (sur 25 millions d’habitants) ont le choix entre quatre candidats: M. Ouattara, 78 ans, l’ex-président Henri Konan Bédié, 86 ans, chef du principal parti d’opposition, Pascal Affi N’Guessan, 67 ans, ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo et l’outsider Kouadio Konan Bertin, 51 ans, indépendant.
Dénonçant la décision de M. Ouattara de se représenter après deux mandats comme un « coup d’Etat électoral », MM.Bédié et Affi N’Guessan ont appelé au boycott du scrutin, même s’ils ont maintenu leurs candidatures, et à la « désobéissance civile ».
« J’en appelle à ceux qui ont lancé un mot d’ordre de désobéissance civile qui a conduit à des morts d’hommes: qu’ils arrêtent! La Côte d’Ivoire a besoin de paix. Ce sont des actes criminels », a dit M. Ouattara, qui a voté en fin de matinée à Cocody, quartier chic d’Abidjan.
« Je dis aux jeunes de ne pas se laisser manipuler.Il s’agit de leur avenir (…) Je demande à tous mes concitoyens épris de paix et de patriotisme d’aller voter », a-t-il poursuivi.
De nombreux incidents se sont produits à travers le pays dans la matinée.
« Le matériel électoral vient d’être brûlé à Brobo », à une vingtaine de kilomètres de Bouaké (centre), deuxième ville du pays , a déclaré Aboudramane Ouattara, président régional de la commission électorale.
Des individus ont bloqué la principale route du pays entre Abidjan et le Nord, menant au Mali et au Burkina Faso, près de Djebonoua (350 km au nord d’Abidjan), selon un habitant.
A Daoukro (centre-est), le fief de M. Konan Bédié, le matériel électoral n’est pas arrivé aux bureaux de vote et des barricades ont été érigées dans la ville et sur certaines voies y menant, ont constaté des journalistes de l’AFP.
A Bouadikro et Bongouanou (100 km nord d’Abidjan, fiefs de M. Affi N’Guessan), les bureaux n’ont pas ouvert, selon des témoins des deux camps.Des barrages ont été dressés entre les villes et des jeunes prévenaient « Pas de vote ici! ».
– « Président comme les autres » –
Comme en Guinée voisine où la réélection du président Alpha Condé pour un troisième mandat contesté a provoqué des troubles, l’opposition ivoirienne juge un troisième mandat « anticonstitutionnel ».
« La peur a gagné la population.Ça peut affecter le taux de participation.Les gens ne doivent pas mourir pour une élection », a estimé Patrick Allou, 32 ans au quartier du Plateau d’Abidjan.
L’élection en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, fait craindre une nouvelle crise dans une région éprouvée par des attaques jihadistes incessantes au Sahel, par un putsch au Mali et une contestation politique chez le géant voisin nigérian.
Une trentaine de personnes sont mortes lors de manifestations qui ont viré aux affrontements interethniques depuis le mois d’août, après l’annonce de la candidature de M. Ouattara.
Le président avait dit en mars qu’il renonçait à se représenter, avant de changer d’avis, à la suite du décès de son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.
Quelque 35.000 membres de forces de l’ordre ont été déployés pour assurer la sécurité des bureaux de vote.
L’ONU et l’Union européenne ont appelé à un scrutin « pacifique ».
Des milliers d’Ivoiriens ont quitté les grandes villes pour rentrer dans leurs villages.Beaucoup craignent une crise majeure, dix ans après la crise post-électorale issue de la présidentielle de 2010 qui avait fait 3.000 morts, à la suite du refus de Gbagbo (au pouvoir depuis 2000) de reconnaître sa défaite face à M. Ouattara.
« Il n’y a pas eu de véritable campagne », estime Sylvain N’Guessan de l’Institut de stratégie d’Abidjan, « Ouattara va être réélu, mais il a perdu son aura, il est devenu un président africain comme les autres, qui s’accroche au pouvoir ».
Deux poids lourds politiques vivant à l’étranger, l’ancien président Gbagbo, 75 ans, et l’ex-chef de la rébellion et ancien Premier ministre Guillaume Soro, 48 ans, ont été disqualifiés par le Conseil constitutionnel.
M. Gbagbo est sorti jeudi de neuf ans de silence médiatique pour appeler au dialogue, sous peine de « catastrophe ».
AFP