Un expert des droits humains de l’ONU s’est félicité vendredi des progrès accomplis dans le renforcement du cadre juridique et de l’émergence de la volonté politique en Mauritanie pour lutter contre l’esclavage, mais a averti qu’il reste encore beaucoup à faire.
A la clôture d’une visite de 10 jours dans le pays, Tomoya Obokata, Rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines d’esclavage, a appelé les autorités à prendre des mesures urgentes pour accélérer la mise en œuvre de la législation anti-esclavagiste mauritanienne et à résoudre les problèmes pratiques, juridiques, et les obstacles sociaux qui empêchent les personnes touchées par l’esclavage d’aller en justice et d’atteindre l’égalité.
« Je suis reconnaissant au Gouvernement d’avoir accueilli ma visite et de la coopération qui m’a été apportée par les plus hautes autorités, y compris le Président de la République », a déclaré Tomoya Obokata dans une déclaration à la presse, indiquant qu’il a été encouragé par la reconnaissance par le Président que « le déni de l’esclavage n’est pas la bonne approche, et de son engagement à mettre fin à l’esclavage, à traduire les auteurs en justice et à favoriser l’inclusion sociale et économique des personnes anciennement réduites en esclavage ».
Il a indiqué que depuis sa dernière visite en 2014, « la Mauritanie a pris des mesures importantes pour combattre l’esclavage et il y a une plus grande volonté de discuter ouvertement des questions d’esclavage ».
De plus, l’adoption de la loi 2015-031 criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes a comblé de nombreuses lacunes de la précédente législation anti-esclavagiste mauritanienne, a-t-il ajouté. « Je suis également encouragé par les efforts entrepris par le Gouvernement pour sensibiliser les praticiens de droit, la police judiciaire, les forces de sécurité, la société civile, et le public ».
Le travail des enfants, un sujet de préoccupation
Néanmoins, le Rapporteur spécial de l’ONU a averti que des formes d’esclavage fondées sur l’ascendance et contemporaines existent toujours en Mauritanie, au sein de tous les principaux groupes ethniques du pays et entre certains groupes.
« L’esclavage traditionnel persiste en Mauritanie, malgré le déni de cette pratique par certains acteurs », il a déclaré.
Il a indiqué que les personnes réduites en esclavage, en particulier les femmes et les enfants, « sont victimes de violence et d’abus, y compris la violence sexuelle, et sont traitées comme des biens. L’esclavage fondé sur la caste est également un problème, et les personnes appartenant à des castes réprimées qui réfutent leur statut d’esclave font face à de violentes représailles et au refus d’accès aux services de base par les castes dominantes ».
Tomoya Obokata a aussi indiqué que le travail des enfants reste une préoccupation, en particulier la pratique de la mendicité forcée, et les pratiques de travail forcé qui sont courantes dans le secteur informel mauritanien, touchant les migrants aussi bien que les citoyens mauritaniens.
Il a observé que la pleine application de la législation anti-esclavagiste mauritanienne reste difficile à atteindre et a encouragé à redoubler des efforts pour mettre entièrement en œuvre le cadre juridique anti-esclavagiste du pays et s’attaquer aux pratiques sociales profondément ancrées.
« L’existence persistante de l’esclavage et d’autres pratiques esclavagistes en Mauritanie démontre malheureusement que les lois pertinentes ne sont pas totalement appliquées dans la pratique et qu’une transformation sociale et un changement de mentalité des dirigeants du pays sont nécessaire pour reconnaître de façon directe et de lutter contre l’esclavage plutôt que de nier son existence », a-t-il indiqué.
« Il faudra davantage d’efforts pour garantir que les plaintes d’esclave fassent l’objet d’enquêtes et que les jugements sont rendus dans les délais raisonnables, que les victimes de l’esclavage sont informées de leurs droits et jouissent d’accès dans la pratique aux mécanismes de plainte ainsi que de la protection et assistance, et que les sanctions prévues soient pleinement appliquées ».
Obstacles à l’enregistrement civil
M. Obokata a également reçu des informations selon lesquelles les personnes réduites en esclavage et leurs descendants rencontrent des difficultés pour s’inscrire à l’état civil mauritanien, ce qui est une condition préalable à l’accès à l’éducation, à l’emploi formel, et aux services de base.
« Sans accès à l’emploi formel et à l’éducation, les victimes de l’esclavage, et leurs enfants n’ont aucune voie viable pour sortir de l’esclavage et restent piégés dans un cercle vicieux de dépendance vis-à-vis de leurs anciens esclavagistes ou de formes de travail qui relèvent de l’exploitation », a-t-il déclaré. « Il est impératif que le gouvernement s’attaque aux obstacles de ces communautés à l’enregistrement civil ».
Le Rapporteur spécial présentera un rapport complet au Conseil des droits de l’homme en septembre 2023.