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« L’information journalistique, un bien public sous tutelle  » – Par Abdoulaye Niass

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Lire le commentaire d’un internaute qui se présente comme un entrepreneur remettre en question, l’opportunité d’annuler la dette fiscale des entreprises médiatique (« Pourquoi eux et pas moi ? ») m’a inspiré cette réflexion à mettre sur la table : la nature, l’impact sur la société et les responsabilités associées à la production et la diffusion d’information journalistique font de celle-ci un bien public pas comme les autres.

En économie des médias, on s’inspire généralement de la classification de Paul Samuelson (1964) entre les biens, distinguant les biens privés des biens publics. La rivalité et l’exclusion sont les deux principes sur lesquels s’appuie cette taxinomie.

La non-rivalité signifie que la consommation d’un bien par un agent ne diminue pas la quantité disponible de ce même bien par un autre agent. Quant au principe d’exclusion, il conduit à écarter de la consommation d’un bien un individu qui ne pourrait pas ou ne voudrait pas payer pour jouir de la consommation de ce bien.

« L’information (…), qui peut être consommée simultanément par un nombre arbitraire de consommateurs, est considérée comme un bien public pur si elle est gratuite (non rival et non exclusion), comme un bien club dans le cas d’un accès payant (non rival mais exclusion) » indiquent Sonnac et Gabszewicz dans leur ouvrage L’industrie des médias à l’ère numérique, La Découverte (2013).

A l’ère d’internet et des réseaux sociaux numériques, la non-exclusivité de l’information journalistique est un caractère qui tend à disparaitre parce qu’une fois une information publiée, il est difficile d’empêcher de la lire ou de la partager. Même si certains médias tentent de restreindre l’accès à leur contenu par des paywalls (« contenu réservé aux abonnés »), les principales nouvelles du jour sont largement accessibles, souvent par des reprises dans d’autres médias ou sur les réseaux sociaux.

Sur nombre de sites pure players, on peut lire toute la presse sans avoir acheté un seul journal et les versions numériques des quotidiens et magazines sont distribuées comme de petits pains via Whatsapp. Certains quotidiens transfèrent aussi leurs contenus sur leurs propres sites. A la télévision comme à la radio, on s’informe et se divertit sans bourse délier, pas besoin de verser un centime de redevance audiovisuelle !

Tout ceci conduit à supposer qu’au Sénégal l’information journalistique est gratuite confirmant son caractère de bien public pur. L’on est tenté de dire tant mieux, tellement l’information est une ressource indispensable au fonctionnement d’une démocratie. Car une société bien informée est mieux équipée pour prendre des décisions éclairées, participer au débat public, et tenir les pouvoirs en place responsables de leurs actions.

Par exemple, un reportage d’investigation sur la corruption (un sujet actuel !) peut amener à des réformes qui améliorent la gouvernance et la qualité de vie de l’ensemble de la population. En suivant gratuitement à la radio ou à la télévision, des émissions culturelles, sociétales, politiques, économiques, le citoyen s’enrichit et bénéficie d’un précieux service public qui, naturellement, incombe à l’État.

Parce que l’information journalistique est un bien public, sa mise sous tutelle serait justifiée dans une démocratie effective afin que toutes les idées politiques disposent d’un espace d’expression médiatique. Le libre accès d’un grand nombre de titres au marché de la presse écrite apparait dès lors comme indispensable pour garantir le pluralisme des opinions. C’est ainsi qu’on justifie l’intervention des pouvoirs publics dans le secteur des médias. Cette tutelle se manifeste souvent à travers plusieurs dimensions : le respect des principes éthiques, la législation et le soutien économique.

Sur l’aspect éthique, les journalistes et les médias sont amenés à adhérer à des normes déontologiques strictes pour garantir l’objectivité, l’exactitude, et l’impartialité de l’information. Des organismes de surveillance, tels que les conseils de presse, jouent un rôle de tutelle en veillant à ce que ces standards soient respectés. Ces entités examinent les plaintes du public concernant les reportages et peuvent sanctionner les violations éthiques. Au Sénégal, c’est le Cored qui est mis en place pour veiller à cet impératif éthique et déontologique.

La régulation légale est une autre forme de tutelle. Les gouvernements instaurent des lois et des règlements pour encadrer l’exercice du journalisme. Ces régulations peuvent inclure des lois sur la diffamation, la protection des sources journalistiques, et la transparence des médias. La législation sur la liberté de la presse vise à protéger les journalistes contre la censure et les représailles, assurant ainsi qu’ils puissent exercer leur métier sans entrave. Toutefois, cette tutelle légale doit être équilibrée pour éviter les abus de pouvoir qui pourraient limiter injustement la liberté de la presse. Depuis l’indépendance, trois lois sur la presse ont été votées (1979, 1996, 2017).

Le soutien économique constitue une tutelle fondamentale comme en témoigne le débat actuel. La production d’information de qualité nécessite des ressources financières, mais le modèle économique des médias est précaire. Les subventions publiques, les aides financières, et les fonds de soutien au journalisme sont des moyens par lesquels les États et les organisations non gouvernementales soutiennent les médias. Comme déjà dit, le soutien financier est justifié par le rôle fondamental du journalisme dans une démocratie, mais il doit être géré de manière transparente pour éviter toute influence indue sur le contenu éditorial. Pensons à l’aide à la presse instituée depuis 1996 puis depuis la loi de 2017 la mise en place du fonds d’appui au développement de la presse. Pour autant, l’efficacité de ce dispositif financier est remise en question en raison notamment de l’absence de lisibilité sur l’emploi des fonds.

En tant que bien public, donc idéalement accessible à tout citoyen (aussi bien du point de vue du langage à employer pour informer que du prix), l’information est difficilement « rentabilisable ». S’y ajoute son caractère rapidement périssable. On peut évoquer d’autres facteurs structurels bloquants qui expliquent les difficultés socio-économiques rencontrées par les entreprises médiatiques dans cet environnement particulièrement complexe : faible lectorat, pouvoir d’achat, marché publicitaire peu transparent, etc.

Parce qu’en informant les citoyens sur des sujets importants, les médias et les journalistes sont susceptibles d’influencer ainsi l’opinion publique et le débat démocratique, d’où l’impérieuse nécessité de l’indépendance des médias. Les financements publics comme privés exposent en effet à des risques d’influence et de partialité. Il est inutile de donner un exemple, il suffit d’observer le fonctionnement des médias publics voire de certains médias privés.

Le journalisme est une institution fondamentale dans une société démocratique, et pourtant nombre de journalistes vivent dans la précarité et les entreprises médiatiques dans une situation difficile (l’euphémisme est autorisé puisqu’aucune donnée financière fiable sur la gestion des entreprises médiatiques n’est facilement accessible). L’on ne manque pas d’ailleurs de se demander, chaque matin, comment dans une activité si structurellement déficitaire, autant de titres de presse quotidienne peuvent apparaître. L’hypothèse d’une quête d’influence pour les éditeurs ou leurs financiers est sans doute sérieuse.

PS : Il ne s’agissait pas ici de défendre un quelconque patron de presse ou de faire l’apologie d’un supposé incivisme fiscal des entreprises médiatiques mais plutôt de souligner la spécificité de l’activité de production d’information qui requiert des coûts de production colossaux et difficile à rentabiliser.

Abdoulaye Niass – Journaliste

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