Les Tanzaniens ont commencé à voter mercredi matin pour élire leurs président et députés, le chef de l’Etat sortant John Magufuli, surnommé le « bulldozer », affrontant l’opposant Tundu Lissu qui a su revigorer l’opposition, largement étouffée durant le quinquennat qui s’achève.
Sur l’archipel semi-autonome de Zanzibar, coutumier des violences électorales, la situation s’était nettement tendue mardi, le candidat de l’opposition – brièvement interpellé – accusant les forces de sécurité d’avoir tué 10 personnes, ce que la police dément.
Mercredi matin, dans le quartier de Garagara en périphérie de Stone Town à Zanzibar, où la police avait tiré des gaz lacrymogènes et des balles réelles mardi, Mnao Haji, 48 ans, a expliqué à l’AFP être venue tôt au bureau de vote pour pouvoir rentrer rapidement chez elle.
« Pendant les échauffourées avec la police, une grenade lacrymogène a atterri dans ma maison.Je criais, je pleurais, j’étais désemparée.Mon coeur battait très fort et je priais », a-t-elle témoigné, tandis qu’une dizaine de soldats et policiers étaient stationnés à l’extérieur du bureau de vote.
Plus de 29 millions d’électeurs sont appelés aux urnes de 07H00 à 16H00 (04H00 à 13H00 GMT) en Tanzanie continentale et 556.000 sur l’archipel semi-autonome de Zanzibar, qui constituent ensemble la République unie de Tanzanie (environ 58 millions d’habitants).
A Zanzibar, les électeurs votent non seulement au scrutin national (présidentielle, législatives), mais également pour désigner le président et les parlementaires de l’archipel.
Plusieurs correspondants de l’AFP ont confirmé l’ouverture des bureaux de vote dans le pays, notamment à Dodoma la capitale administrative, à Arusha la grande ville du Nord, ou encore Moshi, une ville située près d’Arusha, au pied du Kilimandjaro, le plus haut sommet d’Afrique.
« Je remercie Dieu de me donner cette occasion de choisir mes dirigeants.Nous demandons que la Commission électorale fasse preuve d’impartialité pour que la paix règne », a déclaré à l’AFP Nestor Shoo, arrivé dès 06H00 devant le bureau de vote de l’école primaire de Mwenge, à Moshi.
Parmi les 15 candidats en lice à la présidentielle, se dégage un duel entre M. Magufuli, 60 ans, candidat à sa réélection sous les couleurs vert et jaune du parti CCM (« Le parti de la révolution »), au pouvoir depuis 1961, et Tundu Lissu, 52 ans, pour le compte du Chadema (Parti pour la démocratie et le progrès).
Pendant son premier mandat, M. Magufuli a, selon ses détracteurs, fait preuve d’autoritarisme et adopté un style de gouvernance abrupt, fidèle au surnom acquis lorsqu’il était ministre des Travaux publics (2010-2015): le « bulldozer » ou « Tingatinga » en kiswahili.
Peu après son élection, sa tolérance envers toute forme de critique a semblé s’effondrer.
Les rassemblements politiques hors période électorale ont été interdits, des lois draconiennes contre les médias adoptées, des journalistes, activistes et membres de l’opposition arrêtés.
Plusieurs membres de l’opposition ont été tués.
– Seize balles dans la peau –
M. Magufuli met en avant sa lutte contre la corruption, l’extension de l’accès à l’éducation gratuite et une politique de grands projets d’infrastructures dans les domaines hydroélectrique et ferroviaire.Il a également ressuscité la compagnie aérienne nationale.
Face à M. Magufuli se dresse Tundu Lissu, un avocat de formation, revenu au pays fin juillet après trois ans d’exil.
En septembre 2017, après avoir été arrêté pas moins de six fois durant l’année pour divers motifs, M. Lissu a été victime d’une tentative d’assassinat – qu’il assure politiquement motivée – devant son domicile à Dodoma, la capitale administrative.
Il est atteint de 16 balles.Vingt opérations chirurgicales plus tard, le quinquagénaire boitille, mais a quand même su faire campagne et attirer les foules.
Au point qu’en octobre, le leader du populaire parti d’opposition ACT-Wazalendo, Zitto Kabwe lui a apporté son soutien, estimant que M. Lissu avait « les meilleures chances de battre M. Magufuli ».
En retour, le Chadema s’est rangé pour la présidence de l’archipel de Zanzibar derrière Seif Sharif Hamad, un vétéran de l’opposition locale, candidat sous la bannière de ACT-Wazalendo.
La campagne électorale s’est tenue sans aucune considération pour le coronavirus, M. Magufuli ayant déclaré son pays « libéré du Covid » en juillet, grâce aux prières.
Faute de sondages d’opinion, difficile d’évaluer la popularité du président sortant et le ressenti de sa politique au sein de la population.
Sous Magufuli, l’économie a continué de croître, avant le Covid-19, au taux impressionnant de 6% par an, mais les créations d’emplois ont été « peu nombreuses » et la collecte agressive des taxes a affecté le secteur privé et refroidi les investisseurs, souligne Thabit Jacob, un analyste politique tanzanien installé au Danemark.
Le FMI prévoit que la Tanzanie échappera à la récession cette année, en dépit de la pandémie, avec une croissance d’1,9%.
AFP