Bannis en Egypte, brisés par le pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, les Frères musulmans ne sont pas les instigateurs des récentes manifestations de rue, mais ils ont tenté d’en tirer profit en usant notamment de leur influence sur les réseaux sociaux, selon des experts.
Les rassemblements du 20 septembre, totalement inattendus et inédits sous le régime répressif de M. Sissi, ont été suscités par les vidéos postées depuis l’Espagne par Mohamed Aly, un homme d’affaires accusant le chef de l’Etat de corruption et de gaspillage d’argent public.
Selon des analystes, les Frères musulmans n’ont aucun lien avec ce M. Aly, un ancien entrepreneur très prolixe dans ses vidéos –il affirme que les autorités égyptiennes lui doivent d’importantes sommes d’argent–, mais blotti dans l’ombre –il n’a donné jusqu’ici aucune suite aux nombreuses sollicitations de l’AFP.
Devant le succès de ces vidéos, la confrérie islamiste, broyée ces dernières années par le pouvoir, n’a toutefois pas laissé passer l’occasion d’appuyer l’embryon de mouvement de contestation, en appelant aussitôt à destituer M. Sissi.
Outre les réseaux sociaux, les Frères musulmans disposent d’une certaine influence auprès de chaînes de télévision émettant depuis l’étranger, comme Al-Jazeera, Mekameleen et El Sharq.
Face à eux: un flot de message pro-Sissi sur les réseaux sociaux et des émissions quotidiennes de soutien au président sur les chaînes égyptiennes.
« Jeunes marginalisés »
« Les Frères musulmans se cachent derrière Mohamed Aly car ils n’ont pas la capacité d’appeler à des manifestations », dit à l’AFP Amr El-Shobaki, analyste au cercle de réflexion Ahram Centre for Political and Strategic Studies.
A ce titre, la confrérie n’est « pas derrière » les quelques centaines de personnes descendues dans les rues de plusieurs villes le 20 septembre aux cris de « Sissi dégage ! », avant d’être rapidement dispersées, poursuit M. Shokabi.
Ce propos oppose un démenti à l’opinion largement répandue dans les médias égyptiens selon laquelle la confrérie est à l’origine de tout mouvement hostile au pouvoir.
Il s’agissait plutôt « de jeunes, marginalisés économiquement », précise Amr El-Shobaki.
Environ un Egyptien sur trois vit sous le seuil de pauvreté, alors que le gouvernement a inauguré il y a trois ans des mesures d’austérité économique en échange d’un prêt du Fonds monétaire internationalde 12 milliards de dollars.
« Organisation divine »
Dans ce contexte de fortes difficultés économiques, les Frères musulmans conservent pas moins une influence dans une frange de la population, aux moeurs généralement conservatrices, note Mustafa Kamel al-Sayyed, professeur de Sciences politiques à l’Université du Caire.
Ils « sont une idée avant d’être une organisation et avec la situation économique (…), cette idée fondée sur l’islam va continuer d’attirer du monde ».
Fondé en 1928 par l’instituteur Hassan al-Banna comme une organisation caritative islamique et un mouvement politique, les Frères musulmans se sont rapidement développés, y compris hors d’Egypte.
Principal mouvement d’opposition durant des décennies, ils ont été rayés du paysage politique égyptien en 2013, après le bref mandat de l’un des leurs, Mohamed Morsi.
Premier président élu démocratiquement, à la suite de la révolte de 2011, M. Morsi a été destitué par l’armée, alors dirigée par le maréchal Sissi, à la faveur de manifestations de masse contre lui.
Quelque 800 de ses partisans ont été tués en août 2013 au Caire, en une seule journée.
Depuis, des milliers de partisans des Frères musulmans ont été emprisonnés, des dizaines exécutés et d’autres ont fui vers des pays plus favorables à leurs idées, comme le Qatar ou la Turquie. M. Morsi est décédé en plein procès en juin dernier.
L’organisation des Frères musulmans, officiellement classée « terroriste » dès 2013, a « certainement bénéficié » ces dernières semaines de la large médiatisation des vidéos de Mohamed Aly, utilisant leurs relais « pour propager une image négative de M. Sissi », juge M. al-Sayyed.
Toutefois, s’ils caressent l’espoir de réapparaître plus durablement dans le paysage politique égyptien, ils devront se transformer en parti non religieux, juge Amr El-Shobaki.
« Ils peuvent se réorganiser en mouvement politique comme Ennahdha en Tunisie ou le Parti justice et développement (PJD) au Maroc. Cette idée d’organisation +divine+ est la raison pour laquelle ils ont échoué depuis 91 ans », affirme l’expert.
Vendredi dernier, face à une présence policière massive et après une puissante vague d’arrestation, seules quelques manifestations d’ampleur limitée ont eu lieu.
Et, interrogé sur les rassemblements du 20 septembre, le président Sissi, qui rencontrait son allié américain Donald Trump, n’a pas varié dans son argumentaire.
« La région restera instable aussi longtemps que l’islam politique cherchera à prendre le pouvoir », a-t-il clamé.
AFP